Le président de la République Démocratique du Congo effectuait une visite officielle ce vendredi à Bujumbura, après la Tanzanie. Pour les medias locaux, la visite du Chef de l’Etat au Burundi a pour objectif de « rassurer son allié de l’Est sur des questions importantes sur la géopolitique des grands lacs et sur la sécurité dans l’Est de la RDC ».
S’agit-il d’une volonté de rapprochement ? Certainement oui parce qu’en avril dernier, Felix Tchisekedi avait envoyé un émissaire à Pierre Nkurunziza. Monsieur Claude Ekolomba Ibalanky qui avait été reçu en audience par le Président lui-même avait révélé à la presse « qu’il est porteur d’un message de fraternité et d’amitié de la part du Président Tshisekedi à son homologue burundais, en sa qualité de coordonnateur du Mécanisme national de suivi de l’Accord- cadre d’Addis-Abeba. » Au cours de cette visite, Claude Ekolomba avait également fait savoir qu’ils ont échangé sur la coopération multidimensionnelle entre le Burundi et la RDC, tout en insistant sur « la nécessité de renforcer et préserver la paix et la sécurité dans la sous-région afin de permettre l’épanouissement des projets intégrateurs dans le cadre de la coopération économique » comme le rapporte le journal Info Grands Lacs.
Il n’est pas difficile de les cerner depuis l’élection de Felix Tshisekedi à la tête de la République Démocratique du Congo. Pour le nouveau élu, il faut apaiser le climat avec les voisins de la RDC. Sans oublier qu’il incarne les intérêts du peuple tout entier qu’il avait soumis au pouvoir. D’ailleurs, la première visite régionale que Felix Tshisekedi avait effectuée avait pour enjeu l’énergie. C’était en Angola chez son homologue Joao Lourenço, le 5 février de cette année. Au cours de cette visite, Tshisekedi a venté « l’alternance pacifique » issue des élections du 30 décembre, ce qui lui a permis de défendre la légalité de sa victoire contestée. De l’autre côté, Joao Lourenço a profité de négocier avec le Président congolais sur comment il peut profiter avec la RDC de l‘énergie produite par le barrage d’Inga pour alimenter la province de Cabinda et d’autres localités congolaises qui sont frontalières avec cette province angolaise.
La deuxième visite régionale que le Président Felix Tscisekedi a effectuée est celle qu’il a faite à Nairobi, la capitale kenyane à Uhuru Kenyatta, le 6 février 2019. Là- bas, l’enjeu important est plutôt symbolique. Tshisekedi s’y est rendu, selon la RFI, car le Président Kenyan avait soutenu la victoire de Félix Tshisekedi depuis le début. D'où cette visite de « remerciements » bien que le Kenya ne soit pas un voisin direct de la République démocratique du Congo (RDC). Félix Tshisekedi s’est aussi entretenu ce avec Raïla Odinga, l’opposant kényan, qui s’était lui-même rendu à Kinshasa pour l’investiture du président congolais.
Pour le Rwanda, Tshisekedi a choisi de rencontrer Paul Kagame, qui avait émis de sérieux doutes au sujet de sa victoire à l’élection du 30 décembre 2018 en marge du sommet de l’Union africaine (UA) à Addis-Abeba le 17 Janvier de cette année. Le petit Rwanda (26.000 km²) et l’immense RDC (près de 90 fois plus étendue avec 2,3 millions de km²) entretiennent des relations tendues depuis 25 ans, à la suite du génocide au Rwanda. Kinshasa accuse Kigali de piller ses minerais (coltan) dans le Nord Kivu. Kigali a dans le viseur le groupe hutu FDLR réfugié dans l’Est de la RDC. Selon la Libre Afrique, « Pendant près de deux heures, les deux chefs d’État ont passé en revue les questions de bon voisinage et de franche coopération entre leurs États ».
Après leur premier tête-à-tête à Addis-Abeba, Paul Kagame et Félix Tshisekedi ont de nouveau échangé, lors d’une rencontre exceptionnelle à l’occasion de l’Africa CEO Forum, le 25 mars de cette année. Au menu de cet échange, il y avait trois questions à aborder dont les relations entre les deux pays, la question de la préservation des écosystèmes environnementaux et les enjeux miniers. Au cours de cette rencontre, « les deux hommes ont affiché une posture de compréhension mutuelle et une volonté commune d’avancer malgré les relations bilatérales historiquement tendues entre leurs deux pays » comme l’indique l’hebdomadaire Jeune Afrique. Dans cette rencontre, le Président congolais a promis de mettre terme à l’instabilité dans l’est de la RDC en s’attaquant aux milices qui y sévissent. De plus, cette volonté d’avancer ensemble vient d’être matérialisée par une visite officielle de deux jours de la Première Dame congolaise, Denise Nyekuru Tshisekedi à Jeannette Kagame dimanche dernier. En mai 2001, Jeannette Kagame avait accueilli, à Kigali, le 1er sommet africain des Premières Dames sur les enfants et la prévention du VIH/SIDA.
Felix Tshisekedi est d’abord lui-même rassuré. Il possède une stature forte après qu’il ait parvenu à trouver son premier ministre avec les forces politiques issues des élections qui l’ont finalement porté la tête du pays. La légitimité de son élection et de ses fonctions présidentielles est de mise même s’il doit gouverner avec les membres de l’ancien système.
Ainsi, cette visite a deux enjeux essentiels : le premier est la question de sécurité de la sous-région. Elle reste toujours au menu des engagements des pays de la sous-région d’où le rôle du Burundi en la matière est presqu’obligatoire. La preuve est l’organisation à Kinshasa la semaine dernière des chefs des services de renseignements des pays de la sous-région, laquelle réunion n’a pas vu la présence du Burundi. Sous l'égide du président Félix Tshisekedi, avec le soutien des deux organisations sous régionales, la CIRGL, SADC et l'envoyé spécial de l'ONU, l'objectif est de cette réunion était de coordonner les actions dans la lutte contre les « forces négatives », notamment les groupes étrangers qui sévissent dans l'est de la RDC. Le Burundi l’a boudée en justifiant cette absence par le soudain rapprochement entre Kinshasa et Kigali. « Paul Kagame est partout, Tshisekedi le fait applaudir dans un stade à Kinshasa, sa propre femme paradait encore ce week-end à Kigali », indique l'une de ces sources à la RFI.
Le second enjeu est sur la problématique de la diminution des tensions entre les pays de la sous-région pour amorcer de nouveau la coopération en général et avec le pays membres de l’EAC en particulier. Le président de la RDC visite le Burundi alors qu’il y a des tensions diplomatiques entre les pays de la sous-région. Le Burundi entretient des relations tendues avec son voisin du nord, le Rwanda. Ce dernier n’est pas vu aussi d’un bon œil avec l’Ouganda d’où l'investissement personnel du président Tshisekedi pour apaiser ses tensions dans la sous-région et relancer la coopération. D’ailleurs, les Nations-Unies et certaines organisations régionales avaient beaucoup demandé au nouveau élu de s’investir personnellement dans cette mission. C’est l’une des raisons qui avait poussé la SADC et la CIRGL d’organiser la réunion entre les services de renseignements des pays de la sous-région à Kinshasa. Va-t-il gagner le pari ? Très difficile à affirmer car à l’heure qu’il est, chaque pays vit son contexte politique. Le Burundi se prépare aux élections de 2020, la RDC se lance à la fois sur deux pistes, celle de développement (avec un sérieux rapport de force entre les forces politiques dirigeantes) et de pacification des régions de conflits (dont l’Est) et le Rwanda continue sa montée vers le développement durable avec l’appui des bailleurs internationaux malgré sa dictature progressiste. Visiblement, les conflits l’emportent sur les aspirations, ce qui voudrait dire qu’en l’absence d’autres mécanismes formels de règlement des tensions (ouvertes ou latentes) entre ces Etats, l’intégration économique ne saurait être efficacement instrumentée pour stabiliser la région.
Steve Baragafise