POLITIQUE
ANR: Fallait-il interpeller Israël Mutombo?
Interpellé le jeudi 15 avril par des agents de l’Agence nationale de renseignements (ANR), Israël Mutombo, mieux connu sous le sobriquet de « Sango » (prêtre), animateur de l’émission à succès « Bosolo na Politik », a été auditionné et relâché. En cause, son « coup de gueule » de la veille dans lequel il a apostrophé la classe dirigeante notamment sur les « conditions » des militaires envoyés au front. L’interpellation de ce confrère devrait être analysée sous un double éclairage: à charge et à décharge.
« Ne faites pas de moi un dictateur ». Cette phrase a été prononcée, fin juin 2019, par le président Felix Tshisekedi Tshilombo. Il répondait aux journalistes de RFI sur une question relative au sort qu’il entendait réserver aux personnalités du régime de « Joseph Kabila » suspectées de corruption. Pour lui, il revient aux « instances judiciaires » à s’en charger et non au chef de l’Etat.
« Israël Mutombo est aux arrêts à l’ANR! ». Cette nouvelle a fait, jeudi 15 avril, l’effet d’un coup de tonnerre. Et pour cause, « Israël » s’est taillé une place de choix sur l’échiquier médiatique congolais en général et kinois en particulier. La ligne éditoriale de son média semble tenir en onze mots: dénoncer les dysfonctionnements qui affectent les trois pouvoirs d’Etat. Rien de plus normal dans la mesure où la presse est, par définition, un contre-pouvoir.
Au fil du temps, l’émission « Bosolo na politik » est perçue comme un « chien de garde » de la démocratie et de la bonne gouvernance, pour les uns. Pour d’autres, l’animateur se prend pour un « justicier » au point de confondre quelquefois le métier de journaliste à celui de « propagandiste ». Une situation devenue « banale » dans le monde médiatique congolais.
Que reproche-t-on à « Sango », comme l’appellent souvent ses invités? Lors de l’émission « Bosolo na politik » du mercredi 14 avril, ce confrère a poussé un « coup de gueule » au ton réquisitorial à l’égard des autorités civiles et militaires. Sans omettre les membres des cabinets politiques.
En gros, Mutombo reproche aux autorités militaro-politiques de manquer de cohérence. A titre d’exemple, il épingle le couvre-feu décrété dans le cadre des mesures sanitaires contre le Covid-19. Pour lui, cette mesure est appliquée de manière sélective. Sévère à l’égard du citoyen lambda pendant que la classe dirigeante, elle, « fait la fête » jusque tard le soir. L’animateur promet de mener une « contre-campagne » contre les « postulants » aux élections de 2023. « On tue à Beni et à Butembo. Vous vous comportez comme si de rien n’était. Vous paradez à Kinshasa pendant qu’on découpe les gens », tonne-t-il. Et de poursuivre: « Vous êtes ministre, directeur de cabinet d’un ministre ou conseiller du chef de l’Etat ou général. Vous ne vous gênez pas de clamer que le pays évolue. Honte à vous! »
UN JOURNALISTE N’EST PAS UN PROPAGANDISTE
Mutombo a manifestement « dérapé » lorsqu’il a évoqué les conditions des militaires envoyés au front à l’Est. « Avons-nous une armée? Le militaire vit dans une situation difficile avec 20$ de prime de combat. Allez en enfer, race de vipères ». Ceux qui avaient suivi l’émission de mercredi n’ont pas été surpris en apprenant l’interpellation de « Sango ». Une précision: le journaliste n’a pas été brutalisé ni envoyé en prison. Il n’a pas non plus été mis au cachot. Selon diverses sources, il a passé cinq heures dans les locaux de l’ANR avant d’être auditionné et relâché. Une situation inimaginable à l’époque de « Joseph Kabila ». L’avènement de « Fatshi » à la tête de l’Etat a insufflé une incontestable « ambiance libérale » au pays. La liberté d’expression fait désormais partie de l’environnement quotidien des Kinois.
Fallait-il interpellé l’animateur de « Bosolo ne politik »? Oui et non. Commençons par le dernier cas de figure. En interpellant, de manière spectaculaire, le journaliste Israël Mutombo près de cinq mois après la chanteuse Elisabeth Tshala Muana – pour d’autres raisons -, l’ANR a fait preuve de maladresse. Une maladresse de nature à donner de Felix Tshisekedi l’image qu’il redoutait dans l’interview précitée. Par l’absurde, l’ANR semble donner raison à « Israël » dans la mesure où la liberté d’expression est un combat mené notamment contre le despotisme. « Il ne faut pas que le délit de presse étouffe la liberté de presse », a déclaré, jeudi, Léon Nembalemba dit « Papa Molière » sur MM-TV. « On ne doit pas interpeller un journaliste pour ses opinions ».
L’ANR était-elle fondée d’interpeller Israël Mutombo? La tentation est grande de répondre par l’affirmative. Selon des sources, notre confrère aurait été interrogé spécialement sur la « prime de 20 $ » qui serait accordée aux soldats envoyés au front. Il s’agit d’un sujet sensible qui touche à la sécurité nationale. Le rôle de la Sûreté nationale consiste essentiellement à « surveiller » les « menaces » qui planent sur les institutions.
On le voit, le journaliste Mutombo n’a pas été interpellé pour avoir dit la vérité. Encore moins pour avoir houspillé la classe dirigeante. En réalité, son « coup de gueule » présentait, sous certains aspects, le relief d’une « propagande ». L’article 23 de la Constitution reconnait à tout citoyen congolais le « droit à la liberté d’expression ». Et ce « sous réserve du respect de la loi, de l’ordre et des bonnes mœurs ». La déontologie régissant le monde de la presse interdit au journaliste de « confondre » son métier « avec celui du publicitaire ou de propagandiste ». La presse congolaise doit balayer devant sa porte…
Baudouin Amba Wetshi