D’une seule voix, l’Occident s’insurge contre la décision russe de reconnaître les républiques de Donetsk et de Lougansk et prépare des sanctions. De son côté, Moscou peut compter sur un réseau d’alliances hétérogène. Analyse.
L’Occident a enfin son prétexte pour dégainer son arme préférée, les sanctions contre la Russie. À peine quelques heures après la reconnaissance des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk par Vladimir Poutine le 21 février, les pays occidentaux font planer à l’unisson des menaces de représailles économiques contre Moscou. À ce titre, le chancelier allemand Scholz a déjà suspendu la ratification du gazoduc Nord Stream 2.
Même son de cloche du côté américain, Joe Biden se préparant à annoncer un nouveau lot de restrictions. Il a déjà publié un décret qui interdit tout nouvel investissement, échange ou financement par des citoyens américains à destination, en provenance ou dans les régions nouvellement indépendantes. Londres n’est pas en reste. La France, par le biais de son ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, réclame des sanctions européennes. Bruxelles propose en effet d’interdire à Moscou ses marchés et ses services financiers.
L’EU se sanctionne elle-même
Bref, le bloc occidental semble faire front uni contre la décision russe. D’ailleurs, même la Turquie, partenaire stratégique de Moscou mais également membre de l’Otan et allié de Kiev, a considéré cette reconnaissance comme "inacceptable". "La crise ukrainienne cristallise les tensions entre deux mondes qui s’opposent", estime le géopolitologue Thomas Flichy de La Neuville, chercheur en relations internationales.
"L’arme des sanctions est contre-productive pour les Européens. Le but de Washington est d’empêcher une continuité territoriale et commerciale entre l’Europe et la Russie. L’Europe est prise en étau", regrette-t-il au micro de Sputnik
L’arme des sanctions est contre-productive pour les Européens. Le but de Washington est d’empêcher une continuité territoriale et commerciale entre l’Europe et la Russie. "L’Europe est prise en étau, regrette-t-il au micro de Sputnik"
Et ce alors que "les Européens restent dépendants du gaz russe et que Moscou continuera de tourner le dos à l’Ouest". En effet, 46,8% des importations européennes de gaz naturel viennent de Russie, selon Eurostat. La dépendance varie selon les pays: l’Allemagne se fournit chez les Russes à 66%. La Lettonie, la Finlande importent presque tout leur gaz depuis la Russie. Pour la France, ce chiffre est modéré: 20%.
De ce fait, pour tenter de trouver une alternative à l’or bleu russe, Washington avait essayé de convaincre, entre autres, le Qatar de rediriger son gaz vers l’Europe. Le petit émirat étant l’un des leader de la production du gaz naturel liquéfié (GNL) au monde. Malchance: Doha est déjà pratiquement à sa capacité maximale de production et doit honorer des contrats anciens, notamment avec les pays asiatiques.
Les Houthis apportent leur soutien à Moscou
Toujours est-il, malgré les probables sanctions occidentales dans le domaine des hydrocarbures ou sous forme de gel de ses avoirs à l’étranger, Moscou peut compter sur de fidèles alliés. C’est notamment le cas de la Syrie de Bachar el-Assad. En déplacement dans la capitale russe pour rencontrer son homologue, Sergueï Lavrov, le chef de la diplomatie syrienne, Faisal Miqdad, a affirmé le soutien de Damas dans la reconnaissance des républiques de Lougansk et de Donetsk.
D’autres pays, à l’instar du Venezuela, du Nicaragua et de Cuba, lui ont emboîté le pas. D’ailleurs, par l’intermédiaire de son ministre des Affaires étrangères, Bruno Rodriguez, La Havane avait ouvertement critiqué l’expansion de l’Otan aux frontières russes et "l'hystérie propagandiste et médiatique que déclenche le gouvernement des États-Unis contre la Russie".
De manière plus anecdotique, les houthis yéménites ont également reconnu les républiques du Donbass.
Plus prudent sur la question, l’Iran a appelé à "la retenue", tout en dénonçant "les interventions et les actions provocatrices de l'Otan et principalement des États-Unis".
La Chine n’a pas encore reconnu les deux États, mais Pékin ne s’est pas non plus exprimé en faveur de l’intégrité territoriale de l’Ukraine. L’ambassadeur chinois à l’Onu, Zhang Jun, a appelé les parties prenantes du conflit ukrainien à poursuivre le dialogue. Dès 2014, Pékin avait reconnu le rattachement de la Crimée à la Russie, "le virage à l’est de Moscou est une tendance lourde, c’est en réaction aux politiques occidentales", résume le géopolitologue.
"Deux mondes se font face, l’un, ancien et vassalisé à Washington, et l’autre, multipolaire, qui propose une alternative avec plusieurs pôles: le russe, le chinois, voire l’iranien. C’est une opposition de fond et non de forme", estime Thomas Flichy de La Neuville.
Et c’est bien là le problème pour l’Occident. Le rapprochement stratégique entre Pékin et Moscou a été opéré depuis plusieurs années par le biais de contrats gaziers, de coopérations militaires et d’entente diplomatique.
Cette proximité ébranle "les règles de l’ordre international", ont averti les Européens et Américains lors de la conférence de Munich sur la sécurité. Ils s’inquiètent de voir ces puissances vouloir, selon eux, "imposer leurs modèles autoritaires". Mais la réalité serait tout autre: "le nouveau monde ne dépend plus de l’ancien", estime le chercheur. Les pays "déviants" constituent leurs propres alliances, leurs propres systèmes de gouvernance et leurs propres approches du droit international et remettent ainsi en question les acquis de l’hégémonie américaine.
"La crise ukrainienne est ni plus ni moins qu’un énième point de friction qui confirme la confrontation entre deux blocs", conclut le géopolitologue.
La période où l’Occident dominait le monde est bel et bien révolue.